Media7.info La vie de Moustapha Cissé Lô est à
l'image d'un volcan en constante irruption. L'irascible responsable Apr
dégaine et tire sur tout ce qui bouge… Même sa propre formation
politique n'est plus à l'abri des tirs sans sommation de El Pistolero.
"El Pistolero" ! Rien que le
surnom dresse le profil partiel d'une redoutable bête politique. Ce
gladiateur qu'il est toujours bon d'avoir à ses côtés. Celui qui se
charge volontiers du "sale boulot". Celui qui va au front, à chaque fois
que la situation l'exige, pour descendre les adversaires politiques-
mais pas que- sans une once de remords. Le président de l'Apr, Macky
Sall pensait avoir trouvé son homme : Moustapha Cissé Lô. Mais il ne se
doutait point que le natif (28 décembre 1954, 65 ans) de Keur Mbarick
(Louga) était "génétiquement" imprévisible, difficile à ferrer et
pouvait dégainer et tirer sans sommation sur sa propre formation
politique et ses frères de parti… pour défendre ses "intérêts" et ses
"convictions".
Le colosse (1,98m) aux faux
airs d'ancienne gloire de lutte est volubile, irascible. Devant le
pupitre de l'hémicycle, le mardi 3 décembre 2019, Lô est volcanique.
Abordant la question de la distribution des semences et engrais à
l'occasion de l'examen du budget du ministère de l'Agriculture, l'ancien
gérant de "Secco" à l'office sénégalais de commercialisation de
l'arachide (Oncad, 1975-1983) bave de colère et son grand boubou marron
semble amplifier ses gestes d'hystéries. Cette fois-ci, la cible a
changé.
"L'arachide c'est mon dada,
je suis un opérateur économique et j'étais à l'Oncad. Ce domaine, je le
maitrise mieux que quiconque ici et je prends Mamadou Diagne Fada (Dg
Sonacos, Ndlr) à témoin, son père était mon ami. D'Abdou Diouf à nos
jours, j'ai toutes les statistiques et si vous donnez des chiffres qui
ne reflètent pas la réalité, je les battrais en brèche", promet-il.
Mieux que de battre en brèche
les chiffres du ministère, Cissé Lo apostrophe le ministre et son staff
en des termes hors limite de la courtoisie républicaine. "Il faut
arrêter de donner des bons à ces jeunes soulards qui fréquentent les
prostituées. Je vais informer tous les chefs religieux. Il faut arrêter
de politiser la distribution des semences sinon je vais dire ici ce que
je sais. Si je dis ce que je sais, ce sera la fin du monde. Vous allez
prendre des bâtons et chasser les ministres à coups de pied",
tempête-t-il.
Béni hier, honni aujourd'hui
Le malaise interne à l'Apr
est monté d'un cran après cette sortie. Et pour cause : alors que la
mouvance présidentielle tentait difficilement de se remettre d'une
tension interne suscitée par le débat sur le troisième mandat, la fronde
de l'ancien président du groupe parlementaire, Moustapha Diakhaté
débarqué de son poste de conseiller ainsi que la sordide histoire de
trafic de faux-billets qui a emporté le député aperiste Bougazelli,
voilà que Cissé Lô remue le couteau dans la plaie encore béante.
Autrefois, les sorties
incendiaires du "fou de Keur Mbarick" contre l'opposition faisaient rire
sous cape dans la mouvance présidentielle. Mais cette fois, l'homme à
la gâchette facile, qui semait la terreur au conseil régional de
Diourbel avec son révolver en 2005, a déchargé son chargeur sur le
régime. Ça s'appelle du fratricide. De la tête de gondole, Macky Sall,
au plus petit lampiste, personne n'est épargné. Pour cette opération de
déballage grandeur nature, le temps de parole à l'Assemblée ne suffisait
pas. Le député joue les prolongations le lendemain sur deux pages du
journal L'Observateur du 4 décembre.
"Macky Sall n'est pas mon
père, il ne m'a pas acheté. Il a abandonné tous ceux qui ont combattu
avec lui dans l'opposition. Sa façon de nous rendre la pièce de notre
monnaie, c'est refuser de nous recevoir", charge-t-il. Ruminant sa
colère, le palais jette au charbon un de ses plus redoutables "faucons" :
Yakham Mbaye. Dans une interview (sur Dakaractu) aux senteurs d'un
soliloque, le directeur du quotidien national lâche une riposte
disproportionnée qui confirme la politisation dont Cissé Lô faisait
allusion autour de la distribution des intrants. Mais qu'importe !
"Moustapha Cissé Lô qui
soutient avoir été victime de l'ingratitude du pouvoir, combattu et
écarté comme opérateur économique du processus d'achat et de vente des
intrants agricoles, n'est rien d'autre qu'un fieffé menteur. En réalité,
il a bénéficié de l'État, cette année, de six marchés d'un volume de 4
531 tonnes de semences et d'engrais. Et c'est au moyen de chantages et
de menaces qu'il est parvenu à ses fins", lâche Yakham.
"Baye Guinaar", ancien parieur du Pmu
Faisant le tour des médias,
Baye Lô ou encore "Baye Guinaar" (producteur dans la filière avicole)
comme l'appellent les plus proches, tente de redorer son blason
d'opérateur économique ayant fait fortune à l'âge de 21 ans, terni par
les soubresauts d'une carrière politique. En réalité, le fils d'El Hadji
Aliou Lô (opérateur économique et dignitaire politique de Louga) n'a
pas toujours été un apparatchik, même s'il a été biberonné à l'idéologie
socialiste par un père membre fondateur du Bds (1948) et un homonyme,
Moustapha Cissé (ancien ambassadeur et ancien député-maire de Louga),
tous deux Senghoristes.
Ce n'est qu'en 1987 qu'il
décide de s'engager en politique avec le parti pour la libération du
peuple (Plp) de Me Babacar Niang. Chez les Lô, l'engagement politique
n'est pas sujet à un quelconque diktat. En atteste le choix de son fils
Jr Lô de militer pour Idrissa Seck. Cissé Lô adhère finalement au Ps en
1996 pour parachever l'œuvre politique de son père et sera élu député
pour la première fois en 1998, puis réélu en 2007 mais cette fois sous
la bannière du Pds qu'il a rejoint à la chute du pouvoir socialiste.
Ensuite réélu en 2012 et 2017
après avoir été déchu en 2008 de son mandat de député en même temps que
Macky Sall. L'actuel président du parlement de la Cedeao a, depuis,
gravi les échelons et gagné en galons.
Éduqué à la dure par un père
"dictateur" qui n'hésitait pas à le convoquer dans la brousse pour le
corriger sévèrement en cas de contreperformance à l'école, Moustapha en a
été marqué au fer rouge. Le jeune Lô qui a abandonné les études après
l'obtention de son Bepc (Bfem), décide de suivre les sinueuses pistes
qui mènent à la fortune. C'est le début d'une success story pour ce
self-made-man. Téméraire, le turbulent jeune homme a été recruté à
l'Oncad comme agent technique avant d'être propulsé gérant de "Secco" à
Kébémer en 1975.
Tapha qui n'avait d'yeux que
pour le fric démissionne en 1983 à l'Oncad pour lancer ses propres
affaires. Il se laisse tenter par le pari mutuel urbain (Pmu). La chance
lui sourit. "Je fus un excellent joueur de Pmu. Avec Cheikh Mbacké,
nous jouions le Pmu chaque jour jusqu'à minuit. Je connaissais Cash,
Christian Bigeon, etc. J'ai gagné en ce temps-là 3 millions 800 francs
Cfa. Les gens venaient chez moi pour me demander quel est le cheval
gagnant. Mon premier million de francs Cfa, je l'ai gagné à 21 ans au
Pmu", se rappelle-t-il.
Aussi bouillant que sensible
À Médina, le jeune Lougatois
tenait à l'époque une petite garçonnière où il croquait la vie à pleines
dents. "Toutes les belles filles couraient derrière moi à Médina, parce
que je portais de jolis boubous. Elles faisaient la queue chez moi et
je choisissais les plus belles pour en faire ce que je voulais", raconte
Cissé Lô qui finit par se caser en 1978 avec "la plus belle femme de
Médina", Ndèye Ndiakhaté Guèye et aménage à Touba Mosquée où il
délocalise son business : vente de matériels électroménagers et de
voitures d'occasion après un bref séjour aux États-Unis.
Le caractère très bouillant
(dans la scène politique) de ce polygame (3 femmes) et père d'une
douzaine d'enfants, trahit une sensibilité à fleur de peau. A la maison,
aux côtés de sa famille, le belliqueux politicien est méconnaissable.
Il présente un visage d'ange. "Il y a un monde entre le Cissé Lô qui est
dans la scène politique et celui qu'on voit à côté de sa famille. Il
est très sensible et joviale en famille", témoigne un de ses neveux.
Contrairement aux apparences,
Cissé Lô est décrit par ses proches comme quelqu'un de très affectueux
et d'une magnanimité à nulle autre pareille.
Talibé mouride excommunié
Impulsif, ce talibé mouride
qui a pourtant fait serment d'allégeance à feu Serigne Fallou Mbacké,
est un insoumis malgré son attachement à Serigne Touba. Ses bisbilles
avec le porte-parole de la famille de Serigne Fallou, Serigne Abdou
Fatah Mbacké en 2014 sont restés encore frais dans les mémoires. Le
deuxième vice-président de la 12e législature avait été déclaré "persona
non grata" à la cérémonie du Magal de Kazou Rajab édition 2014 suite à
un audio dans lequel Cissé Lô traite le porte-parole de tous les noms.
Malgré la mise en garde de
Serigne Abdou Fatah Mbacké qui a demandé aux autorités étatiques que
Cissé Lô ne fasse pas partie de la délégation officielle, ce dernier a
quand-même défié le marabout en se pointant à la cérémonie. Furax, le
marabout demande l'excommunication de Cissé Lô et invite les disciples à
estimer les biens du député à Touba afin de les racheter.
Baye Lô paiera cash son
attitude de défiance envers la famille maraboutique. En effet, son
domicile et ses voitures ont été incendiées le 20 juin 2014 par des
disciples mourides en furie. 19 personnes furent arrêtées dont Serigne
Assane Mbacké qui avait publiquement revendiqué l'acte.
"Je n'ai pas de problème
particulier avec Serigne Abdou Fatah, ce qui m'oppose à lui est purement
politique", précise Cissé Lô qui a déménagé à Yoff (Dakar). Non sans
renseigner : "on avait d'excellentes relations, mais il m'a demandé
d'intervenir dans la liste de "Benno bokk yakaar" à Louga pour
positionner un de ses proches. Étant donné que je ne suis pas
responsable à Louga, bien que je sois originaire de cette localité, je
lui ai clairement signifié que je ne pouvais pas le faire. Il a estimé
que ma réponse était sèche et arrogante".
Il a fallu l'intervention du
président Macky Sall pour éteindre le feu en réconciliant les deux
protagonistes lors de la cérémonie du Magal de Touba en novembre 2016.
Les relations de Cissé Lô
avec la presse sont aussi heurtées. Bon client pour les journalistes
friands de déclarations fracassantes, il n'hésite pas à insulter toute
une corporation. Mécontent de la manière dont un incident a été traité
et durant lequel il a été dit qu'il a tiré une balle en l'air, Cissé Lô
dément et se défausse sur les journalistes. "C'est des menteurs qui me
poursuivent pour dire du mal de moi et de ma famille. Je fais l'objet de
médisance et de calomnie de la part de journalistes qui sont payés par
des adversaires politiques". Il s'adressait ainsi aux correspondants des
médias à Touba qu'il a fait venir chez lui en présence de ses gardes du
corps.
Même les magistrats en ont
pris pour leur grade. "Il n'y a pas de justice au Sénégal. Les
magistrats ne jugent pas équitablement et dans leur intime conviction.
Ils font n'importe quoi", fulmine-t-il.
C'est dire que l'homme n'a presque pas de cible. C'est un mitrailleur qui tire dans tous les sens.
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